Plafonnement des sanctions en cas d’erreur ou de défaut de TAEG : un véritable coup de canif à l’information des consommateurs
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21 mars 2019
Les associations AFOC, CLCV, Familles Rurales, UFC-Que Choisir et UNAF en appellent au Président de la République pour qu’il préserve un cadre juridique garant d’une saine concurrence et protecteur des emprunteurs. Retrouvez notre communiqué de presse.



Alors qu’à l’issue de la réunion du Comité consultatif de la législation et de la règlementation financière (CCLRF) Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, pourrait plafonner les sanctions des banques fautives d’une erreur ou d’un défaut de TAEG au sein des contrats de crédit, nous, associations représentant les consommateurs et les familles, alertons l’exécutif sur l’atteinte grave et parfaitement injustifiée que porte ce projet à l’information des emprunteurs. Sous prétexte d’une harmonisation européenne, et par un lobbying très incisif, les banques entendent valider a posteriori leurs négligences et ouvrent la voie pour l’avenir à des dérives dont les seules victimes sont les consommateurs. Nous, associations, appelons le Président de la République à ne pas céder à leurs injonctions.

 

TAEG : aiguillon de la concurrence longtemps maltraité par le Gouvernement et les banques


Le taux annuel effectif global (TAEG) est l’indicateur qui permet à l’emprunteur de connaître le coût total de son crédit, intérêts et frais imposés par la banque compris. Clef de voûte du consentement, cet outil est le seul qui lui permet de faire jouer la concurrence. Son absence ou une erreur dans son calcul constitue donc un manquement grave à l’information des consommateurs, qui peut être sanctionné par la perte des droits aux intérêts pour le prêteur.

Si la Fédération des banques françaises (FBF) s’abrite derrière la complexité des règles de calcul pour justifier les erreurs de ses adhérents, cette affirmation ne résiste pas à l’analyse. Relevant le caractère « trompeur » du coût du crédit présenté en France[1], l’Union européenne a clarifié le champ ainsi que les modalités de calcul du TAEG dès 1998[2]. Il aura pourtant fallu attendre près de deux décennies pour que le Gouvernement permette enfin aux consommateurs de bénéficier d’un TAEG fiable[3].

Alors que les principales négligences portent sur des frais obligatoires non intégrés ou sur une base annuelle de référence erronée (année lombarde en lieu et place de l’année civile), la contestation de TAEG nourrit un contentieux fleuve dont le Gouvernement et la FBF sont collectivement responsables.

 

Plafonnement des sanctions : l’inacceptable blanc-seing aux mauvaises pratiques
 

Après avoir tant tardé à adopter le standard de calcul européen, le Gouvernement, sous couvert de prendre en compte un principe de proportionnalité… directement emprunté au droit bruxellois[4], pourrait désormais limiter les sanctions des banques fautives. Le projet d’ordonnance entend que la peine soit désormais proportionnée au préjudice subi par l’emprunteur et plafonnée à 30 % des intérêts. Ce quasi blanc-seing laissé aux banques est aussi inacceptable qu’incompréhensible puisqu’il passe à côté de la problématique principale : assurer un cadre juridique garant d’une saine concurrence pour les emprunteurs.

D’une part, la stipulation des intérêts est l’objet indissociable d’un crédit. En plus d’assurer une concurrence non faussée, le TAEG concourt à la protection de l’ensemble des emprunteurs par l’interdiction des prêts usuraires. Dans la mesure où la violation de cet encadrement nuit à l’ensemble des consommateurs, pour être dissuasive sa sanction doit être indépendante du préjudice d’un seul client. D’autre part, les arrêts récents de la Cour de cassation témoignent déjà d’une certaine mansuétude à l’égard des banques négligentes. Le projet actuellement à l’étude ne répond donc à un aucun motif d’intérêt général puisque les erreurs des prêteurs ne sont que marginalement sanctionnées de la déchéance totale des droits aux intérêts.

 

Rétroactivité du plafonnement : un recul sans précédent pour l’état du droit
 

Enfin, si ce n’était pas suffisant, il est question de donner une valeur rétroactive au mécanisme de plafonnement, faisant fi de l’état du droit et des consommateurs qui ont initié des procédures judiciaires.

Ainsi, le projet présenté aurait pour conséquence d’abolir la jurisprudence de la Cour de cassation pour les affaires en cours. Rappelons qu’une ordonnance est un acte de nature règlementaire auquel s’applique le principe général de non-rétroactivité. Cette option, en plus de constituer une véritable validation a posteriori des négligences des banques, s’apparente en réalité à une double peine pour les consommateurs qui ont initié des procédures judiciaires dont le jugement n’a pas encore été rendu.

 

Au regard du risque manifeste que le projet d’ordonnance porte aux intérêts des consommateurs, les associations AFOC, CLCV, Familles Rurales, UFC-Que Choisir et UNAF en appellent au Président de la République pour qu’il préserve un cadre juridique garant d’une saine concurrence et protecteur des emprunteurs. Ce dernier impose le maintien de sanctions dissuasives qui garantissent l’effectivité de la législation relative à l’information des consommateurs, notamment en matière de TAEG.

 

 

 

 

[1] Rapport sur l’application de la directive 90/88/CEE, Commission des communautés européennes, 1996. « La méthode française s’écarte tellement de la méthode communautaire que les taux d’intérêts français sont trompeurs ».

[2] Dès 1990, la directive 90/88/CEE prévoit que le coût total du crédit doit s’entendre comme  « Tous les coûts, y compris les intérêts et autres frais, que le consommateur est tenu de payer pour le crédit ». En 1998, la directive 98/7/CE instaure dans son annexe II la formule mathématique du TAEG qui prévoit notamment qu’il est calculé à partir de la notion d’année civile, c’est-à-dire « [qu’une] année comporte 365 jours ».

[3] En France, l’adoption du TAEG calculé selon la méthode européenne est intervenue définitivement par l’ordonnance n°2016-351 qui a transposé par harmonisation maximale la directive 2014/17/CE.

[4] La directive 2014/17/CE laisse aux Etats membres la liberté de fixer les règles applicables en cas d’infraction à l’encadrement du TAEG. Ces dernières doivent être « effectives, dissuasives et proportionnées ».